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Manishan, celle qui arrête le vent

  • Photo du rédacteur: Eric Mandret
    Eric Mandret
  • 20 août 2019
  • 4 min de lecture

" Elle s’est appelée Manishan celle qui arrête le vent jusqu’au moment où des gens qu’elle ne connaissait pas, des gens que ses parents ne connaissaient pas, sont venus la chercher pour l’amener dans une immense maison, une bâtisse grande comme elle n’en avait jamais vu, un couvent ! Elle avait 7 ans.

Déjà qu’avant d’entrer la porte en chêne massif l’impressionnait. Mais après l’avoir passé, il a fallu la pousser pour la faire avancer. L’espace à traverser était si grand et les parquets si brillants, que la petite n’osait plus mettre un pied devant l’autre. Surtout que les souliers dont on l’avait affublée lui faisaient mal aux pieds et tellement de bruit.

La petite fille habituée aux pieds libres dans des chaussures de peaux a mis longtemps à oublier le bois, les saisons, les rivières à saumon, l’eau de la rivière entre ses orteils, les poissons que maman faisait cuire au bord de l’eau. Ha ! Elle s’est ennuyée de son papa et de sa maman.


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On ne sait pas trop, trop comment ça s’est passé, par quelle sorte de magie, mais petit à petit Manishan celle qui arrête le vent s’est métamorphosée en Marie-Jeanne, d’abord pour les gens du couvent puis graduellement pour tous les autres.

La petite métamorphosée ne s’est plus ennuyée de papa et de maman ni de tous ceux qui ne l’ont jamais appelé autrement que Manishan celle qui arrête le vent. Un jour, à quarante ans, Manishan celle qui arrête le vent a tué Marie-Jeanne d’un coup sec et pour de bon. Non pas directement non ! Ça pris un choc, un vrai, un gros, un brutal pour que Manishan celle qui arrête le vent se reprenne.

Ça commencé par un rêve suivi d’un téléphone : Maman ! Au bout du fil une voix, celle de sa mère qui ne l’a pas nommée : Ton père vient de mourir. Et elle a raccroché. Sa mère n’a jamais voulu l’appeler autrement que Manishan celle qui arrête le vent, alors elle ne lui parlait plus. Elle a seulement dit : Ton père vient de mourir. Et elle a raccroché. Manishan a hurlé, braillé, tempêté : Papa tu le savais que tu allais mourir. Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? Je serais venue, je l’aurais pris l’avion pour la réserve, même si les gens de là-bas, ma famille me boudent.


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La réserve ! Pourquoi as-tu accepté de vivre là ? Pourquoi tu les as laissé me prendre papa. Maman te l’a assez dit : Ne la laisse pas partir ! Mais qui écoute une indienne ! Tu te souviens quand à quatorze ans j’ai pris une petite job niaiseuse en ville plutôt que de passer les vacances scolaires à la maison. Tu aurais dû me demander pourquoi papa. Quand à vingt ans je me suis mariée avec un homme qui n’était pas indien. Ce n’est pas que je ne voulais plus être indienne papa. Je l’aimais et je le comprenais, plus que je ne vous comprenais maman et toi. Les règles étaient trop changées entre nous. Tu n’aurais jamais dû les laisser me prendre. Je sais que tu as vu papa, que tu as voulu me préparer. Ni toi ni moi, nous ne pouvions être préparé à ce qui est arrivé. C’était trop gros !


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Grand-mère m’a raconté le jour de ma naissance : Un campement d’hiver, deux ou trois chasseurs te suivaient avec leurs femmes et leurs enfants. Toi, Kacous mon père, celui à qui les caribous parlent, celui avec qui on n’a jamais faim. Ce jour-là, impossible de bouger, une tempête charriait du vent, du vent, du vent et des tourbillons de neige. Une neige qui s’engouffrait dans tout, partout. Ça sifflait sans arrêt. Et juste comme le vent est tombé. Je suis venue au monde. Mon frère a dit : Aye ! le vent a fait tomber une petite sœur ! Tout le monde a ri. Puis toi Kacous mon père tu m’as pris dans tes grandes mains et tu as dit : Celle qui arrête le vent. Maman t’a crié non Manishan celle qui arrête le vent.

Tu m’as regardée longtemps et tu as ajouté : Cette enfant devra traverser bien des tempêtes, il faudra la rendre forte. Oui tu as essayé. Papa, je ne t’ai jamais dit comme j’aimais la pluie. Le savais-tu ? Au couvent c’était mes jours préférés. Te rappelle-tu comme la pluie sur nos visages me faisait rire quand on marchait dans le bois ma main dans ta main… J’entends encore le chant des gouttes d’eau sur la peau du wigwam quand les uns sur les autres, collé, collé, quelqu’un racontait une histoire de Manitou ou de Carcajou. Ces jours-là j’étais heureuse parce que je m’imaginais que toi aussi tu pensais à moi.

Tu es mort papa et je ne sais pas si j’irai te voir. Je ne sais pas si je prendrai l’avion pour ceux qui sont restés là-bas. Mais maintenant je sais qui je suis. Je suis ta fille papa. Je suis Manishan celle qui arrête le vent. "

Nicole Filiatrault (2006)

 
 
 

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